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Passim

Passim

 
 

« Pour répéter avec Tanguy, une longue familiarité avec lui n’est pas superflue. Entre la parole et le metteur en scène, la relation est compliquée. Longtemps, ses spectacles ont été quasiment muets, la musique suppléant les mots. La musique est restée, et les mots ont fini par surgir, par fragments de plus en plus nombreux. Mais la langue comme outil de communication tient pour lui -et surtout pour ses interlocuteurs- de l’épreuve. (…) François Tanguy a une étonnante capacité pour les phrases non finies, les digressions et les néologismes obscurs. De quoi, si on n’est pas prévenu, être dérouté. Ou conquis, tant il est aussi capable de fulgurances et d’associations heureuses. Parole de poète donc, en version oraculaire. Les yeux fixés au sol, les mains derrière le dos, il relève à peine la tête pour donner le «programme» de l’après-midi : «On pousse, on pousse. Comment les choses se déconstruisent. Au mieux une esquisse de mouvement. A chaque fois revenir sur l’état des lieux. C’est-à-dire les corps.» Puis, alors que les acteurs se mettent en place : «On va continuer de fragmenter.» Esquisse, déconstruction, fragment, glissement : Il y a dans Tanguy à la table de répétition quelque chose d’un DJ à sa platine. Déclinés de diverses façons, les mots reviennent souvent au long de la répétition, balises familières entre lesquelles a toujours vogué le Radeau, et qui éclairent d’autres «indications» plus énigmatiques pour le profane : «Essayer de cerner. Il faut absorber cette structure. On doit se retirer. Non, ce n’est pas possible. La voix. Ça ne veut pas dire qu’il faut conjointer à ça. La puissance de la voix doit dépasser le moment pour qu’elle soit prise dans cette emprise. Dans les interstices, relancer un mouvement qui a déjà bifurqué.» Les phrases sont entrecoupées de silences, mais le ton est assuré. Les acteurs sont habitués à traduire. Ils ont plus de problèmes avec la mémorisation de textes donnés sous formes d’extraits et puisés à des dizaines de sources, dont le choix a varié tout au long des répétitions. Un écran a été installé, pour y projeter les textes retenus. Ainsi le monologue de Rosaura au début de La vie est un songe, de Calderón de la Barca, qui occupe une partie de la séance. Chapeau rond et barbe de vieux rabbin, Jean Rochereau le dit en espagnol : «Que yo, sin más camino/ que el que me dan las leyes del destino,/ ciega y desesperada, bajaré la cabeza enmarañada/ de este monte eminente/ que arruga al sol el ceño de la frente.» Juché sur son grand cheval de bois, il monte et descend avec les mots. Tanguy l’interrompt : «Pour ça, il faut aussi souffler à l’intérieur des vocales.» Et le Radeau va » 

René Sois, Libération